Les prisonnières en Israël : une vie entre pressions, souffrance et transfert brutal

Article de Dareen Tatour paru sur Mondoweiss en novembre 2018

Un mois après la fin de ma détention, de ma résidence surveillée et de la prison qui ont duré en tout 3 années pendant lesquelles j’ai vécu les souffrances de la détention et de la prison, qui sont différentes de toutes les autres souffrances que j’ai personnellement vécues. Cependant, malgré toute la cruauté de cette expérience pleine d’évènements, notamment concernant les prisonnières et alors que j’écris ces mots, j’ai laissé derrière les barreaux 51 prisonnières, chacune ayant son histoire, un roman en soi, qui vaut la peine d’être racontée, nous devons dévoiler la réalité difficile vécue par chacune, que ce soit à Damon ou à Hasharon, et les raisons qui ont amenées à leur détention et à leur emprisonnement.
J’ai moi-même été détenue puis libérée et la prison appartient au passé pour moi. Il est vrai que mon corps a été libéré, relâché et n’est plus en prison, mais mes pensées sont toujours liées à ce que j’ai vécu là-bas avec les prisonnières et je n’en serai pas libérée jusqu’à mon dernier souffle car elles vivent en moi à chaque instant, même ceux qui ne sont pas liés à la vie en détention. Je me souviens d’elles dans chaque détail de ma vie, de manière impulsive et non intentionnelle, tout me les rappelle et me ramène à la prison et à la vie là-bas, au point que je m’inquiète constamment pour elles, ce qui leur arrive et leurs conditions de vie. En fait je suis incapable d’oublier leur souffrance, c’est pourquoi j’ai décidé de m’informer constamment sur les prisonnières et d’écrire sur tout ce qui leur arrive, pour essayer de soulager ma conscience et tenir la promesse que je leur ai faite de ne jamais les oublier ni les laisser seules avec leur souffrance derrière les barreaux.
Avec cette nouvelle du renouvellement pour la 4ème fois de suite de l’ordre de détention administrative pour 3 mois de la députée Khalida Jarrar, j’aimerais mettre en lumière la souffrance des prisonnières dans les deux prisons dans lesquelles elles sont enfermées car c’est la question la plus importante pour moi actuellement : ces prisonnières de Damon et d’Hasharon qui souffrent de problèmes graves que vous ne pouvez pas imaginer.

La prison de Damon, qui a été utilisée comme lieu de stockage du tabac et des cigarettes avant l’établissement d’Israël et est devenue une prison officielle d’Israël après 1948, a été qualifiée en 2002 par les organisations de défense des droits humains d’inadéquate pour abriter des animaux. Or actuellement elle abrite 500 prisonnier.e.s palestinien.ne.s, dont 22 femmes détenues dans un très petit bâtiment de deux pièces seulement, qui souffrent de la surpopulation, de l’humidité, de la chaleur intense de l’été et du froid glacial de l’hiver. La pièce n°7 accueille 14 prisonnières alors que sa capacité maximale est de 18 prisonnier.e.s et la pièce n°8 accueille 8 prisonnières dans un tout petit espace. Les prisonnières souffrent aussi d’un manque de communication avec le monde extérieur car elles ne peuvent écouter la radio, brouillée par on ne sait quoi. Les prisonnières se plaignent du manque de visites de leurs avocat.e.s au point de se sentir totalement isolées du monde et à l’écart du mouvement des prisonniers palestiniens et des organes officiels dédiés à la cause des prisonnières et prisonniers.

Le 5 septembre 2018, alors que je subissais la condamnation prononcée à mon encontre par le tribunal (israélien) de Nazareth de 5 mois d’emprisonnement après que j’aie été jugée coupable pour avoir écrit un poème, l’avocate Taghreed Jahshan m’a informée lors d’une de ses visites que les prisonnières d’Hasharon avaient débuté un mouvement de protestation contre la décision de l’administration (de la prison) de brancher subitement des caméras de surveillance dans la cour, quelque chose qui n’existait pas (n’était pas envisagée) car les caméras étaient débranchées depuis des années et notamment depuis 2011. Un des actes de protestation était qu’elles (les prisonnières) ont refusé de quitter la cour tant que les caméras n’étaient pas débranchées et la situation rétablie comme avant.

Yasmin Abu Srour, une ex-prisonnière de 20 ans, a connu la souffrance des prisonnières à la prison d’ Hasharon. Elle est née dans le camp de réfugié.e.s d’Aïda à Bethleem ; elle est originaire du village déplacé de Beit Natif près de Jérusalem qui a été occupé et a subi un nettoyage ethnique le 22 octobre 1948, perpétré par les forces sionistes du Palmach et de la Haganah pendant l’opération « Hahar-al-Jabal ». Elle est bénévole pour les secours médicaux et est une infirmière de terrain. Yasmin a été emprisonnée 3 fois en 3 ans ; la première fois en 2015 ; elle était alors une mineure de 17 ans1/2, arrêtée au checkpoint alors qu’elle allait rendre visite à son frère à la prison Eshel à Beersheba, lui-même condamné à 17 ans de prison. Elle a passé 3 mois à la prison d’Hasharon et a été libérée pour être à nouveau arrêtée le 17 janvier 2018, accusée d’être un danger pour la sécurité d’Israël et d’inciter à la violence contre l’état elle a été condamnée à 7 mois de prison pendant lesquels elle a été déplacée entre les prisons de Damon et Hasharon. Après sa libération le 26 juillet 2018, le jour où Ahed et Nariman Tamimi ont été libérées, elle a été arrêtée pour la 3ème fois, un mois et demi après sa libération pour faire pression sur son autre frère, en plus de sa mère et son père, il avait été arrêté une semaine avant eux, également accusé de menacer la sécurité d’Israël, pour le forcer à avouer ce dont il était accusé. Toute la famille était en prison. Yasmin a été libérée le 16 octobre 2018. Je l’ai contactée après sa semaine de détention à la prison d’Hasharon pour connaître les conditions de détention des prisonnières à ce moment là et ce qu’elles subissaient comme privations et comme pressions de la part des services de la prison.

Yasmin a été arrêtée le 9 octobre 2018 et emmenée à la section 2 de la prison d’Hasharon ; une prison constituée de 7 cellules pour les prisonnières politiques et de 2 cellules pour les prisonnières de droit commun, il y a 29 prisonnières palestiniennes condamnées à diverses peines, la plus longue étant 16 ans 1/2 pour la prisonnière Shurouq Dwayyat de Jérusalem qui venait d’entamer sa quatrième année en prison. Dans la prison se trouvent aussi plusieurs prisonnières blessées, notamment Israa Jaabis, Marah Bakir et Lama al-Bakri.

Quand j’ai demandé à Yasmin ce qui avait attiré son attention ou ce qui lui avait semblé intéressant dans la prison cette fois, elle m’a répondu : « beaucoup de choses ont attiré mon attention dans la prison, particulièrement le fait que tout a changé depuis les deux fois où j’étais emprisonnée, en ce qui concerne les restrictions, les caméras et l’état psychique des femmes prisonnières, au point que le visage de certaines a beaucoup changé car elles n’ont pas vu le soleil depuis 41 jours ». Yasmin a ajouté, après que je lui aie demandé ce qui avait changé sur les visages : « Ne pas voir le soleil pendant 41 jours a affecté leur santé et leur psychisme et un des signes les plus évidents sur leur visage, que j’ai vu moi-même en tant que prisonnière vivant avec elles, est un teint jaunâtre et très pâle ; des cernes marqués sous les yeux, une perte conséquente des cheveux, certaines prisonnières ont les mains qui les démangent, conséquence de l’humidité et du manque de soleil.

Quand je lui ai demandé quelles étaient les actions entreprises par les prisonnières contre la présence des caméras de surveillance dans la cour, elle m’a répondu : « les actions entreprises par les prisonnières après décision de leur représentante la prisonnière Yasmin Shaaban peuvent être résumées en trois points principaux pour essayer de faire pression sur les autorités de la prison pour qu’elles annulent cette décision : refuser de quitter la cour, réduire leurs achats à la cantine comme pression économique et boycotter les soins. »

Quand je lui ai demandé les raisons et l’objectif du boycott des soins, Abu Srour m’a expliqué en disant « La représentante des prisonnières m’a expliqué que cette décision reposait sur les restrictions constamment faites en prison et sur le fait que les médecins maltraitent les prisonnières à l’hôpital et minimisent leurs problèmes de santé »

Quand je l’ai interrogée sur les restrictions subies par les prisonnières et dont elles souffrent, Abu Srour a dit : « il y a des restrictions à la prison d’Hasharon et parmi elles : la diminution de la quantité d’eau chaude pour les douches car ils ont coupé l’eau chaude pour les prisonnières, si jamais il y en a cela ne dure que quelques minutes ; les coupures d’électricité dans les pièces plusieurs fois par jour et la diminution de la quantité de pain et de légumes »

Grâce au temps que j’ai passé en prison, je sais combien il est difficile d’avoir des caméras de surveillance dans la cour 24h/24, d’autant plus que les prisonnières sont pieuses et portent des foulards, c’est la même chose à Damon, et comme elles ont des foulards elles ne peuvent absolument pas les enlever sous l’oeil des caméras ce qui veut dire qu’elles ne peuvent pas profiter du soleil et de l’air dans leurs cheveux ni faire du sport dans la cour puisque cette « pause » est la seule occasion de profiter du soleil et de l’air. Il est donc essentiel que les prisonnières refusent cette source de souffrance et refusent absolument que les caméras soient en service. Cependant peu de personnes savent que cette nouveauté n’est pas gratuite pour les autorités de la prison mais a été soigneusement planifiée. Au moment où l’avocate m’informait de ce changement, les autorités de la prison informaient les prisonnières de Damon qu’elles allaient être transférées dans une nouvelle section sans spécifier de date, en disant seulement que la section était actuellement en travaux et que quand tout serait prêt, toutes les prisonnières y seraient transférées. J’ai immédiatement fait le lien avec le branchement des caméras de surveillance comme un moyen de tester les prisonnières, de voir comment elles y réagissaient et comme les prisonnières de Damon avaient toujours eu des caméras de surveillance depuis sa ré-ouverture en 2015, j’ai vu ce changement soudain comme un moyen d’habituer les prisonnières d’Hasharon à la nouvelle réalité d’après le transfert, de tester l’énergie de leur rejet et d’évaluer s’il y aurait une révolte devant cette situation.

Quand j’ai demandé à Yasmin ce que les prisonnières savaient à propos du transfert, elle m’a répondu : «  Oui, c’est vrai ce que tu dis, la représentante des prisonnières en a été informée brusquement et on lui a dit que le transfert aurait lieu dans quelques jours, dans la semaine »

Je précise que la nouvelle section de la prison de Damon, selon les informations données par les autorités alors que j’étais encore en prison peut contenir 104 prisonnières et est divisée en 26 pièces, chacune accueillant 4 prisonnières. Il y a des caméras de surveillance dans la cour et ce point n’est pas négociable.

Pour ce qui est du renouvellement de la détention de la députée Khalida Jarrar, j’ai essayé d’avoir des nouvelles sûres de la part de Yasmin mais elle m’a dit qu’elle même avait été libérée avant d’avoir eu ces nouvelles. J’ai posé la même question aux avocat.e.s mais ils et elles ne savaient pas exactement ce qu’il en était. J’ai essayé de téléphoner à la famille de Khalida Jarrar mais n’ai pas réussi à les joindre.

La question à laquelle nous devrions avoir une réponse dans les prochains jours est : que va-t’il se passer pour les prisonnières après le transfert ? comment vont-elles réagir à tous ces changements ?

Dareen Tatour
poète, photographe, militante sur les réseaux sociaux, Palestinienne israélienne de Reineh. Elle a passé presque 3 ans en résidence surveillée ou en prison. Elle a été condamnée en mai 2018 pour incitation et soutien à des organisations terroristes après qu’elle ait publié son poème « Résiste mon peuple, résiste leur » sur les réseaux sociaux.

Article paru sur Mondoweiss en novembre 2018

Article traduit de l’arabe en anglais par Nina Abu Farha
et de l’anglais au français par Martine Ullmann

Notes de MU : Khalida Jarrar a été libérée le 28 février 2019
Les prisonnières ont été transférées à la prison de Damon entre le 31 octobre et le 7 décembre 2018

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