L’Opposition palestinienne au plan sioniste, dés la fin du XIXeme

I – UN PEUPLE SUR SA TERRE

Le mouvement national arabe du milieu du XIXème
Le mouvement national arabe au Moyen-Orient trouve ses racines actuelles au cours des années 1850, avec ce que les historiens ont appelé la renaissance culturelle dans le monde arabe du Moyen-Orient, la Nahda. Ce processus d’affirmation politique, social et culturel, très bien étudié, avait de fait été entériné par la Société des Nations retenant pour les anciennes provinces de l’empire ottoman le mandat « de classe A », qui prenait acte du développement de ces peuples et de leur droit à l’indépendance.

Au final, l’Irak a obtenu son indépendance le 3 octobre 1932, le Liban le 22 novembre 1943, la Syrie le 1er janvier 1944, et le Royaume de Jordanie le 22 mars 1946… alors que la Palestine a disparu des écrans du formalisme juridique en 1948, lors de la proclamation de l’État d’Israël. C’est ainsi qu’est née la question des réfugiés UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East), non réglée à ce jour.

A la fin du XIXème siècle, vivaient en Palestine 500 000 personnes, presque toutes Arabes et les responsables politiques avaient vivement réagi aux résolutions du Congrès sioniste tenu à Bâle du 29 au 31 août 1897, dont le projet était d’« établir pour le Peuple juif une patrie en Palestine qui soit garantie par le droit public ». Parmi ces nombreuses réactions, on relèvera celle du maire de Jérusalem et député à Constantinople, Youssouf al-Khalidi écrivant au Grand Rabbin de France en mars 1899 : « Il faut donc que le mouvement sioniste cesse. […] La terre est assez vaste, il y a encore des pays inhabités où l’on pourrait placer les millions d’israélites pauvres, qui y deviendraient peut-être heureux et un jour constitueraient une nation. Ce serait peut-être la meilleure, la plus rationnelle solution de la question juive. Mais, au nom de Dieu, qu’on laisse tranquille la Palestine ».

Les manœuvres de l’impérialisme britannique

Pendant la première guerre mondiale, les Britanniques, convaincus de la chute de l’empire ottoman alors allié de l’Allemagne, avait besoin d’obtenir le concours des dirigeants arabes contre une promesse d’alliance politique, avec l’indépendance d’un vaste royaume arabe englobant la péninsule Arabique, la Palestine, la Syrie jusqu’à Alep. Cet engagement a été formalisé le 24 novembre 1915, le représentant britannique en Egypte McMahon s’engageant par écrit. Cet engagement a été réitéré en 1918, par un message du gouvernement britannique soulignant : « En ce qui concerne la Palestine, nous sommes déterminés à ce qu’aucun peuple ne soit soumis à un autre ».
Loin de ces apparences, le Royaume-Uni manœuvrait pour s’entendre avec la France pour une répartition des zones d’influence avec l’accord Sykes-Picot, le 19 mai 1916, puis en passant un accord avec l’Organisation sioniste par lequel il s’engageait à soutenir le plan sioniste, avec contrepartie de devenir une place forte occidentale au sein du monde arabe du Moyen-Orient, en 1917. C’est le fameux l’engagement par le ministre britannique des Affaires étrangères, Sir Arthur James Balfour pris auprès de la Fédération sioniste en faveur de l’établissement “ in Palestine of a national home for the Jewish people.
Le gouvernement britannique entendait maximiser la position sur la zone, et les sionistes acceptaient cette opportunité, mais il y avait deux obstacles majeurs : le nombre de juifs en Palestine était très minoritaire, et l’allié britannique, au final, déciderait toujours en fonction de ses intérêts. A ce stade, il s’agissait d’un engagement politique, n’ayant aucune force juridique. Deux importants rapports établis à cette époque donnent des renseignements précis sur les réalités de la société palestinienne.

Le premier est celui de la commission initiée par les Etats-Unis, de Henry Churchill King et Charles R. Crane, de 1919. Ce rapport décrivait l’opposition de la population non juive de Palestine, soit plus de 90 %, au projet sioniste, et concluait que le projet ne pourrait être imposé que par le recours à la force armée.

Le second, celui d’Herbert Samuel, haut-commissaire pour la Palestine entre la fin des opérations militaires et le mandat, publié le 20 juillet 1921, concluait que si le gouvernement britannique maintenait sa volonté, il rencontrerait des difficultés sérieuses car il serait impossible d’ignorer la réalité qu’est le peuple de Palestine.

Ces obstacles décisifs obligeant à avancer masquer, en recourant à la formule ambiguë d’un « foyer national » garanti par le « droit public », tout autre chose qu’un Etat garanti par le droit international public, qui était le but évident, et qui a été imposé par la force en 1948

II – LE MANDAT POUR LA PALESTINE

Le projet

Lors de la Conférence de paix de Paris de 1919, les puissances alliées ont décidé, de placer les territoires de ces anciennes provinces ottomanes sous un régime de « mandat », mécanisme créé par le Pacte de la Société des Nations le 28 juin 1919. Il s’agissait d’une innovation dans le système international, présentée comme moyen d’amener les peuples à l’indépendance, ! ce mécanisme juridique sauvegardant les intérêts politiques des puissances occidentales : vu que tôt ou tard il y aurait une indépendance juridique, il fallait s’assurer les moyens d’un contrôle politique et économique. Pour sa part, la Cour Internationale de Justice a affirmé que les deux principes moteurs, la non-annexion et le développement de ces peuples, comme « une mission sacrée de civilisation ».
L’enjeu palestinien était patent, et les Palestiniens étaient très vigilants : réunis à Jérusalem en congrès, du 28 janvier au 8 février 1919, ils votèrent une motion envoyée à la Conférence de la Paix, rejetant les revendications sionistes.

Les actes
Le dessaisissement des titres par la Turquie était prévu par le Traité de Sèvres de 1920, en son article 132, mais ce traité n’est jamais entré en vigueur, et il a été officialisé par le Traité de Lausanne du 24 juillet 1923.
Le traité a pris effet en Palestine par une ordonnance le 6 août 1924. L’article 30 posait pour principe : « Les ressortissants turcs établis sur les territoires qui, en vertu des dispositions du présent Traité, sont détachés de la Turquie, deviendront de plein droit et dans les conditions de la législation locale, ressortissants de l’État auquel le territoire est transféré ». Ainsi, la nationalité palestinienne a été fondée le 6 août 1924.
Entre 1922 et 1948, année du retrait du Royaume-Uni, la Palestine, comme toutes les anciennes provinces arabes de l’empire ottoman, était traitée dans les rapports internationaux comme un État à part égale des autres.
Le 1 août 1922, la Grande-Bretagne a publié l’Ordonnance sur la Palestine, appelée dustour, littéralement, « constitution », posant les fondations du législatif, du judiciaire et de l’exécutif en Palestine, et appliquée par les juridictions internes. Les frontières étaient établies par des actes internationaux.
L’arbitre mandaté par la SDN a réparti cette dette publique ottomane entre les nouveaux États issus du démantèlement de l’Empire ottoman, à savoir la Bulgarie, la Grèce, l’Italie et la Turquie, ainsi que trois États sous mandat, dont la Palestine, qualifiée d’Etat à égalité de droit.
Cette qualité étatique ressort aussi de la jurisprudence en Palestine et dans les autres Etats comme l’Égypte, appliquant un régime général aux Etats sous mandat. Il en était de même pour la nationalité.
Le droit est certain : la Palestine préexistait à l’établissement d’Israël, qui a constitué un « État successeur ». Dans la lettre à son fils du 5 octobre 1937, David Ben Gourion expliquait les problèmes à résoudre, soulignant que le pays « est en possession des Arabes ».

III – LA GUERRE QUI S’ANNONCE

La préparation du « foyer national pour le peuple juif »
Le mandat pour la Palestine, 24 juillet 1922, portait dès le préambule la mention du « foyer national pour le juif ». Le mandataire était chargé par l’article 2 de placer le pays dans « les conditions politiques, administratives et économiques qui garantiront la création du foyer national juif », et l’article 4 lui demandait d’instituer « une agence juive » sous la forme d’un organisme public pour organiser « l’établissement du foyer national juif ». Selon l’article 6, le mandataire devait faciliter l’immigration juive, et l’article 7 prévoyait une loi sur la nationalité visant « à faciliter l’acquisition de la nationalité palestinienne par les Juifs qui élisent domicile permanent en Palestine ».
L’administration britannique a créé l’Organisation sioniste Yichouv, qui deviendra en 1929 l’« Agence juive », chargée de l’immigration, l’acquisition des terres, la sécurité et les relations extérieures de la communauté juive, et a adopté le Jewish Settlement Police pour permettre la défense armée autonome des colonies, qui constituera l’organisation militaire juive la « Haganah », noyau de la future armée israélienne. Le plan économique et social était structuré autour de la Histadrouth qui regroupait les syndicats, et développait ses objectifs propres. Les règlements facilitant l’immigration juive se sont succédés.
En 1900, la population de la Palestine était arabe à 96 % arabe, avec 4% de juifs. Pendant le mandat, la Grande-Bretagne a procédé à des recensements réguliers. Entre 1920 et 1945, 367 845 immigrés juifs sont entrés en Palestine, la population juive en a été multipliée par sept, passant de 83 790 à 528 702 en 1944. Au moment du plan de partage, la population totale de la Palestine était de 1 972 000 habitants : 1 203 000 musulmans, 145 000 chrétiens et 608 000 juifs, dont un tiers seulement avait acquis la nationalité palestinienne.
Sous le temps du mandat, les Juifs ont acquis près de 1 600 km² soit 6% de la surface de la Palestine, soit 26 323 km², mais les propriétaires palestiniens ont vendu 480 km², soit 2% de leur terre.

L’opposition du peuple palestinien
L’opposition du peuple palestinien, exprimée dès l’origine, a pris corps politiquement au fil du temps au point d’obliger la Grande-Bretagne à un recul en 1939.
A compter de janvier 1919, l’opposition palestinienne au projet sioniste s’est exprimée par une série de Congrès des comités islamo-chrétiens, le 3e Congrès en 1922 revendiquant la formation d’un gouvernement palestinien national, puis en 1928, le droit à l’autodétermination, avec la déclaration des habitants de Nazareth en 1919 : « Nous sommes les propriétaires de ce pays et que la terre est notre foyer national. La logique des faits est inexorable. Elle montre qu’il n’y a pas de place en Palestine pour une autre nation, si ce n’est en déportant ou en exterminant celle qui y est actuellement implantée ».

Devant la montée en puissance du projet sioniste, la population n’a cessé de réagir et des mouvements sociaux ont marqué les années 1921, 1929, 1933, durement réprimés. Des partis politiques s’accordant sur l’indépendance de la Palestine et le caractère arabe du pays se sont créés à partir de 1934, se regroupant dans un Haut Comité Arabe de Palestine présidé par le Mufti de Jérusalem, Al haj Amin Al-Husseini.
Un premier incident violent, par fait d’armes, est survenu en novembre 1935 à Haïfa, illustrant la montée des tensions.

L’étape majeure a été le soulèvement palestinien, en 1936, avec un large mouvement de grève de six mois, sévèrement réprimé juillet 1937. La Grande-Bretagne a alors publié un premier plan de partage, de la Commission Peel, qui a causé en réaction un large mouvement insurrectionnel et de désobéissance civile, qui dura jusqu’à 1939. Les Palestiniens ont pris le contrôle de vastes zones rurales et de 758 villages, et l’armée britannique a dû attendre la fin 1938 pour en retrouver la maîtrise. Comme l’écrira l’historien Elias Sanbar, « les Palestiniens avaient vécu avec leurs pouvoirs, leurs contradictions et leurs formes sociales spécifiques, une période unique, sorte de préfiguration d’une patrie débarrassée du colonialisme ». La répression été violente, et le bilan humain lourd, avec plusieurs centaines de morts.

Ne pouvant ignorer ces évènements, le mandataire a engagé en 1938 un processus de négociations, qui a conduit à la publication en mai 1939 un nouveau « Livre blanc », le troisième, dit de MacDonald, qui prévoyait une phase de 10 ans pour aller vers un Etat palestinien multiconfessionnel, avec une politique plus restrictive sur l’immigration et l’acquisition des terres.
L’agence juive a violemment rejeté ce plan. Sur le terrain, la situation était plus confuse. La diplomatie britannique activait ses réseaux pour jouer la déstabilisation, et les grandes puissances, en ordre dispersé, soutenaient toutes le plan sioniste.

Gilles Devers
Gilles Devers, est avocat au barreau de Lyon, blogueur, enseignant-chercheur et maître de conférences français.(wikipedia)

A suivre : Les évènements de 1947-1949 et leurs suites
Bibliographie

Jihane Sfeir-Khayat, « Historiographie palestinienne – La construction d’une identité nationale », Annales Histoire, Sciences Sociales, janvier-février 2004, Éditions de l’EHESS, p. 35

Nadine PICAUDOU, Le mouvement national palestinien, genèse et structures, L’Harmattan, Paris, 1989

Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome I, 1799-1922, L’invention de la Terre sainte, Paris, Fayard, 1999

Olivier CARRE, Le mouvement national palestinien, Gallimard-Julliard, Paris, 1977

Tarif KHALIDI, « Historiographie palestinienne : 1900-1948 », Revue des études palestiniennes, 8, 1983, p. 53.

Elias SANBAR, Les Palestiniens dans le siècle, Gallimard, 2007

Philippe DAUMAS, « La Commission King-Crane, une occasion perdue », Revue d’études palestiniennes, Vol. 96, p. 78

Mutaz M. Qafisheh, « Genèse de la citoyenneté en Palestine et en Israël », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 21 | 2010