Dans les territoires occupés, l’État hébreu s’acharne contre la population palestinienne

d’après l’article de

Gwenaelle Lenoir sur mediapart

C’est l’autre guerre d’Israël. Attaques de colons incessantes, campagne massive d’arrestations, mauvais traitements infligés aux personnes détenues, ou encore circulation entravée : l’occupation destructrice de la Cisjordanie se poursuit.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite israélienne, les agressions des colons se sont accrues. Leurs représentants siègent en bonne place dans le gouvernement formé par Benyamin Nétanyahou en décembre 2022. Les suprémacistes juifs et colons extrémistes Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich y tiennent respectivement les portefeuilles de la sécurité nationale et des finances.

Après le 7 octobre 2023, la brutalité des colons a franchi un cran. Comme leur impunité. Le gouvernement israélien leur a largement distribué des armes, alors même qu’ils portaient déjà fréquemment un fusil d’assaut ou un pistolet.

« Nous voyons la mise en œuvre de ce que Smotrich a appelé en 2017 son “plan décisif”, explique Ibrahim S. Rabaia, enseignant de sciences politiques à l’université Bir Zeit. Il y prône l’annexion de la Cisjordanie, et dessine trois scénarios pour les Palestiniens : rester sous l’occupation en acceptant leur condition, partir, ou résister et dans ce cas être tués. »

Bezalel Smotrich écrivait en effet : « Il n’y a de place que pour une seule expression de l’autodétermination nationale à l’ouest du Jourdain : celle de la nation juive » et « Toute solution doit être fondée sur la suppression de l’ambition de réaliser l’espoir national arabe entre le Jourdain et la Méditerranée ».

Les attaques se succèdent

Un peu partout en Cisjordanie, les colons s’y emploient avec détermination. Appuyés par l’armée, selon les multiples témoignages recueillis notamment par Mediapart. Dans le meilleur des cas, les soldats de l’État hébreu n’interviennent pas pour empêcher les exactions des colons. Dans d’autres, ils les protègent et répriment les Palestinien·nes qui s’opposent aux assaillants.

Interrogée par Mediapart sur sa politique vis-à-vis des attaques de colons et sur les accusations de collusion, l’armée israélienne ne nous a pas répondu.

« La Cisjordanie est devenue l’État des colons, avec des habitants palestiniens considérés comme résidents non permanents qu’il s’agit de chasser », reprend Ibrahim S. Rabaia.

Il ne se passe pas une semaine sans attaque. Le 10 juin, Mediapart est à Burqa et à Deir Dibwane. Les champs d’oliviers fument encore. Personne, parmi les habitant·es, ne se risque là-bas. Les caravanes d’un avant-poste sont à quelques centaines de mètres à peine des arbres qui achèvent de se consumer.

Un peu plus loin, les carcasses tordues des voitures de la casse de Burqa gisent sous le soleil. Le garagiste n’y trouvera plus de pièces détachées.

Partout, l’air est imprégné de la fumée des incendies allumés trois jours plus tôt, le vendredi 7 juin.

Deir Dibwan a comme caractéristique d’être très étendu, avec une superficie de 730 kilomètres carrés. Ses possessions vont presque jusqu’à Jéricho, et la commune s’enorgueillit, dans la vallée qui descend vers la cuvette de la mer Morte, de terres agricoles très riches. Une proportion de 85 % de cette surface est en zone C, soit sous contrôle israélien complet, selon le découpage institué par les accords d’Oslo de 1993.

Zone A, zone B, zone C, tout ça c’est pareil depuis le 7 octobre. Il n’y a plus d’autonomie palestinienne, nulle part.

Taysir Mohamed, élu de Burqa

La zone A est celle du contrôle de l’Autorité palestinienne, pour les affaires civiles comme pour la sécurité, et les forces israéliennes ne sont pas censées y pénétrer, sauf à la demande de l’Autorité. Dans la zone B, ce sont les Israéliens qui gardent le contrôle militaire et policier.

« Ça avait de l’importance avant. Maintenant, beaucoup moins, puisque de toute façon, toute la Cisjordanie est à nouveau totalement occupée, soupire Taysir Mohamed. Zone A, zone B, zone C, tout ça c’est pareil depuis le 7 octobre. Il n’y a plus d’autonomie palestinienne, nulle part. Et nos éleveurs, notre bétail, nos bédouins sont des cibles permanentes, où qu’ils se trouvent. »

Si les attaques ne sont pas nouvelles, elles ont pris un tour nouveau depuis le 7 octobre : outre l’armement à outrance des colons, l’appui de l’armée leur est désormais complètement acquis. Jusqu’à empêcher les secours. « Le 7 juin, le camion de pompiers a été bloqué quarante-cinq minutes par les soldats, s’indigne Taysir Mohamed. Officiellement parce qu’ils ne pouvaient pas assurer la protection des équipements ! »

Le 21 avril, c’est la maison d’un éleveur qui a été directement visée. Les colons ont incendié les étables abritant trois cents moutons et chèvres. « L’armée a installé un barrage militaire pour nous empêcher d’accéder au sinistre, affirme Taysir Mohamed.
La circulation en Cisjordanie, elle aussi, est entravée, depuis octobre 2023, comme rarement auparavant. Au fin fond du territoire ou tout près des grandes villes, la galère est la même, et se rendre d’un point à un autre demande une sacrée connaissance de la géographie alternative à celle des axes habituels.
Des déplacements transformés en casse-tête

« Il n’y a plus qu’une route pour aller à Ramallah, et elle est souvent coupée elle-même par des barrages volants, constate Taysir Mohamed, lui-même entrepreneur florissant. On ne peut rien prévoir, rien planifier. Encore quelque chose qui nous rend la vie impossible. »

C’est le lot de toute la population de Cisjordanie depuis des années, mais encore plus depuis octobre. Les routes menant à de nombreux villages sont équipées de barrières en métal orange, ouvertes ou fermées au gré de l’occupant. Des entraves à la circulation qui ne concernent pas les colons, bénéficiant de leurs propres axes de circulation, et qui rappellent la deuxième Intifada, il y a vingt ans.

C’est à un checkpoint de ce type qu’a été arrêtée l’avocate Diala Ayesh le 17 janvier 2024. Depuis, elle est en détention administrative, procédure héritée du mandat britannique, qui permet aux autorités israéliennes de détenir sans procès une personne pendant six mois, renouvelables sans limite. Les charges sont connues du procureur militaire seul et ne sont communiquées ni à la personne détenue ni à son avocat·e.

La détention administrative, qui peut frapper n’importe qui et qui interdit à la personne arrêtée toute défense et toute perspective prévisible de libération, constitue un moyen de pression redoutable sur la société palestinienne et sur ses membres les plus actifs.

Diala Ayesh ne sait donc pas ce qui lui est reproché. Mais elle a fait part, lors d’une comparution devant le procureur militaire le 16 mai, à laquelle assistait son avocat, de conditions d’arrestation et de détention particulièrement rudes. Elle a été malmenée par des soldates, fouillée à corps dans une pièce équipée de caméras. Enfermée avec d’autres Palestiniennes dans la prison de Damon, elle et ses camarades sont privées de tout contact avec le monde extérieur, de toute intimité pendant les rares douches, d’une nourriture en quantité et qualité suffisantes, de produits d’hygiène. Les vêtements et les draps ne sont jamais renouvelés.

« Elle n’est évidemment pas un cas isolé, explique son confrère Thaher Saaideh, de Lawyers for Justice. Depuis le début de la guerre contre Gaza, en octobre dernier, les Israéliens mènent une campagne d’arrestations massives en Cisjordanie. Des activistes des droits humains, des leaders d’opinion, des influenceurs et influenceuses, des journalistes sont visés. Beaucoup se retrouvent en détention administrative. »

« Nous estimons à plus de 10 000 le nombre de personnes arrêtées après le 7 octobre en Cisjordanie. Certaines ont été relâchées, mais actuellement, nous avons 9 200 détenus, dont plus d’un tiers sont sous le régime de la détention administrative, reprend Jenna Abuhasna de l’organisation de soutien aux prisonniers palestiniens Al-Dameer. Il s’agit d’une campagne de vengeance collective. »

Beaucoup de personnes arrêtées après le 7 octobre avaient déjà connu les geôles israéliennes et en avaient été libérées. Ainsi Houla*, incarcérée une première fois en octobre 2020, jugée pour activisme étudiant, libérée après vingt et un mois de prison et arrêtée une deuxième fois en octobre 2023, cette fois sous le régime de la détention administrative, avant d’être incluse dans l’échange de prisonniers conclu à l’occasion du cessez-le-feu temporaire du 24 novembre 2023.

Les conditions de détention, maintes fois décrites, ne prêtent pas à rire. Tabassage en règle des détenus plusieurs fois par jour par les unités pénitentiaires connues pour leur violence, utilisation de chiens d’attaque dans des cellules surpeuplées, absence de médicaments et nourriture très insuffisante, tout ce que décrit Omar Assaf à Mediapart a été consigné par les organisations de défense des droits humains.

« Plus encore qu’avant le 7 octobre, les Israéliens veulent nous faire abandonner notre objectif national, qui est d’avoir un État, assure Qaddoura Fares, directeur de la commission en charge des affaires des prisonniers et ex-détenus. C’est une vieille ambition de Bibi Nétanyahou que de nous persuader de nous contenter d’un bien-être économique et de laisser de côté notre aspiration à la liberté. Aujourd’hui, ils ont décidé d’utiliser une extrême brutalité. »

Gwenaelle Lenoir