le ministre de la Justice viole l’arrêt de la CEDH sur la liberté d’expression
après la condamnation par la CEDH de l’Etat français pour violation de la liberté d’expression des militants de la Campagne BDS le Ministre de la Justice appelle les procureurs à réprimer les appels au boycott au prix de la méconnaissance de l’arrêt de la CEDH et de la confusion voulue entre combat pour les droits des Palestiniens et antisémitisme.
dépêche du ministère de la justice
Le Ministre de la Justice n’a rien à cirer de l’ arrêt de la Cour européenne de Justice du 11 juin 2020 sur la liberté d’expression.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné l’État français, par arrêt du 11 juin 2020, pour violation du droit d’expression des militants qui luttent pour le respect du Droit international par l’Etat d’Israël au moyen du boycott des produits israéliens (campagne BDS).
Selon la CEDH, « l’appel au boycott de produits sans contrainte ni menace constitue une expression politique et militante qui, en tant que telle bénéficie d’un niveau élevé de protection dans toute société démocratique moderne » (voir Politis – n° 1608 – « les échos de la semaine » et n° 1625 – courrier des lecteurs).
A cette fin, la CEDH a relevé que « tel qu’interprété et appliqué, en l’espèce, le droit français interdit tout appel au boycott de produits en raison de leur origine géographique, quels que soient la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lequel il s’inscrit« . Et la Cour conclut qu’elle « n’est pas convaincue que le juge interne ait appliqué des règles conformes à l’article 10 et se soit fondé sur une appréciation acceptable des faits ».
Il pouvait en être déduit qu’il s’agissait d’un « tournant qui légitime un monde de protestation pacifique contre la politique de colonisation des gouvernements israéliens » jusqu’à la « dépêche » du Ministre de la Justice du 20 octobre 2020 relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens qui appelle les procureurs des tribunaux et Cours d’appel à mettre en œuvre telle répression.
Pour justifier cet appel, le Ministre tente de minimiser la portée de cet arrêt en faisant accroire que la CEDH n’aurait, ce faisant, condamné que la faiblesse de la motivation des décisions de justice intervenues (dont les arrêts de la Cour de Cassation, donc, dont la mission est précisément de contrôler la motivation des juges du fond et l’application qu’ils ont fait du droit aux faits dont ils étaient saisis !) mais n’aurait » pas invalidé la possibilité de poursuite des appels au boycott »
Cette affirmation est directement contraire à l’arrêt de la CEDH qui a visé précisément l’application de règles non conformes à l’article 10 (liberté d’expression). La CEDH a posé pour seules limites à l’expression politique et militante sur un sujet d’intérêt général s’inscrivant dans un débat contemporain (le respect du droit international par Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés) l’appel à la violence, à la haine ou l’intolérance.
Sans doute conscient de la faiblesse de l’argument, le Ministre glisse ensuite insensiblement au « caractère antisémite de l’appel au boycott » qui pourra soit résulter directement des paroles, gestes et écrits, soit se déduire du contexte de ceux-ci. Ce qui n’est certes pas le même fondement mais se trouve confirmé, dans l’esprit, par la préconisation faite aux procureurs, dans un objectif pédagogique, de prescrire des stages de citoyenneté au Mémorial de la Shoah, au camp du Struthof ou au camp de Milles. Reprenant ainsi le discours qui tente « d’assimiler le combat pour les droits des Palestiniens à de l’antisémitisme » pourtant clairement désavoué par la CEDH.
Cerise sur le gâteau : cette « dépêche » est adressée « pour information » à Monsieur le membre national d’Eurojust pour la France. Eurojust est une agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale qui a pour objet d’aider les autorités nationales à coopérer pour combattre le terrorisme et les formes graves de criminalité touchant plusieurs pays de l’Union européenne !
23 nov. 2020 : Mediapart Le blog de Genevieve Coudrais