La député Khalida Jarrar, trop dangereuse pour se rendre aux funérailles de sa fille
Khalida Jarrar est une femme politique, très présente dans la vie politique palestinienne. Elle a été élue pour la première fois au Conseil législatif palestinien en 2006 sur une liste dirigée par Ahmad Sa’adat, secrétaire général du FPLP. Son action a porté sur les droits des prisonniers, la législation sociale et l’amélioration de la condition de la femme. Elle n’a quitté la Cisjordanie qu’une fois, en 1998, pour assister à une conférence sur les droits de l’homme à Paris. Depuis, elle est interdite de déplacement, et la seule exception a été en 2010, où elle a pu se rendre à Amman pour des soins médicaux non disponibles en Palestine.
Elle est l’un des 15 membres du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine, l’organe suprême de cette organisation.
En décembre 2015, Khalida Jarrar avait déjà été condamnée à 15 mois de prison pour l’appartenance au FPLP, et a été libéré en juin 2016.
Elle a ensuite de nouveau été arrêtée en juin 2017. Là encore, pas le moindre indice de preuve. L’option retenue a été la « détention administrative », mesure de sureté sans inculpation, et sans juge, pour 20 mois, pour être libérée en février 2019. Les détentions administratives sont basées sur des soupçons gérés par le Shin Bet. Les griefs restent secrets, et la rétention n’est pas contrôlée par un tribunal.
En octobre 2019, le Shin Bet a à nouveau arrêté de nombreux militants, dont Khailda Jarrar, au motif d’un attentat. N’ayant pu trouver le moindre indice, ils ont renoncé à tout implication de ce type, et l’inculpation restée est d’« appartenance à une organisation illégale ». Jarrar de membre du FPLP. Khalida Jarrar a été condamnée par un tribunal militaire israélien à deux ans de prison, dont quatre mois avec sursis. Parmi les nombreuses législations permettant la répression de toute activité politique en Cisjordanie, l’ordre militaire 1651 menace de dix ans de prison quiconque « tente, oralement ou autrement, d’influencer l’opinion publique dans la zone, d’une manière qui peut nuire à la paix ou l’ordre public ».
Addameer, une organisation d’aide juridique pour les prisonniers palestiniens, a déclaré que le verdict « prouve qu’Israël travaille contre l’opposition politique à l’occupation et utilise son système judiciaire militaire pour forcer sa politique de domination et de préjudice au peuple palestinien ».
Au milieu de tous ces évènements, Khalida Jarrar, c’est aussi une vie de famille.
Son époux, Ghassan gère une usine, située à Beit Furik près de Naplouse, qui fabrique des meubles et jouets pour enfants, une activité très dangereuse. Ghassan n’est jamais sorti Cisjordanie au motif « raison de sécurité ». Il a été arrêté et emprisonné 14 fois depuis l’âge de 15 ans.
Khalida et Ghassan sont les parents de deux enfants.
Leur fille aînée, Yafa, est docteur en droit au Canada, où elle a épousé un Canadien.
Suha après avoir obtenu à Ottawa une maîtrise en études environnementales, était rentrée en Palestine, et elle était très active dans la société civile. On la voyait beaucoup sur l’environnement et les droits des femmes ; notamment, elle avait été reçue en 2014 par le pape dans le cadre d’un projet de protection de l’environnement.
Suha avait pu rendre visite à sa mère, dans la prison de Damon au sud de Haïfa, en février 2020. Il y a eu ensuite trois visites pour le père, en aout et octobre 2020, puis le 7 juillet 2021. 4 visites en deux ans.
Chaque semaine, Suha adressait à sa mère via l’émission « Lettres aux prisonniers », de la radio Ajyal basée à Ramallah. Encore, le vendredi 9 juillet.
Mais le dimanche 11 juillet est survenu le drame : Suha a été retrouvée morte dans sa maison du camp de réfugiés de Qaddura, près de Ramallah, apparemment d’un arrêt cardiaque. Elle était âgée de 30 ans.
L’administration pénitentiaire n’a pas informé Khalida Jarrar. Celle-ci a entendu parler de la mort de sa fille pour la première fois à la radio le lundi, et quelques heures plus tard, ses avocats lui ont rendu visite pour lui confirmer la terrible nouvelle.
Khalida Jarrar, qui doit être libérée en septembre, a demandé une permission de sortie pour se rendre aux funérailles de sa fille.
Le service pénitentiaire israélien a rejeté la demande, le commissaire de l’administration pénitentiaire expliquant dans une lettre au ministre de la Sécurité publique Bar-Lev : « La détenue est classée comme détenue de sécurité. En tant que telle, sa demande ne remplit pas les conditions préalables à l’examen. En conséquence, personne dans l’administration pénitentiaire, y compris le commissaire, n’a le pouvoir d’approuver cette demande ». L’arbitraire, et ce n’est assurément pas une première.
La famille a alors organisé les funérailles mardi 13 juillet, sans la mère.
L’administration pénitentiaire a autorisé un appel téléphonique à sa famille, et voici le texte de Khalifa Jarrar lu lors des funérailles :
« Je souffre tellement, mon enfant, uniquement parce que tu me manques.
« Du plus profond de mon agonie, j’ai tendu la main et embrassé le ciel de notre patrie à travers la fenêtre de ma cellule de prison dans la prison de Damon, à Haïfa.
« Ne t’inquiète pas, mon enfant.
« Je me tiens droit et inébranlable, malgré les chaînes et le geôlier.
« Je suis une mère dans le chagrin du désir de te voir une dernière fois. Cela n’arrive qu’en Palestine.
« Tout ce que je voulais, c’était dire un dernier adieu à ma fille. Avec un baiser sur le front et pour lui dire que je l’aime autant que j’aime la Palestine.
« Ma fille, pardonne-moi de ne pas avoir assisté à la célébration de ta vie, de ne pas avoir été à tes côtés pendant ce moment déchirant et final.
« Mon cœur a atteint les hauteurs du ciel en rêvant de te voir, de te caresser et de poser un baiser sur ton front à travers la petite fenêtre de ma cellule de prison.
« Suha, ma si précieuse,
« Ils m’ont empêché de t’offrir un dernier baiser d’adieu.
« Je te dis adieu avec une fleur.
« Ton absence est terriblement douloureuse, atrocement douloureuse.
« Mais je reste ferme et fort, comme les montagnes de la Palestine bien-aimée ».
Une mère trop dangereuse, en effet.
texte repris de la « newsletter n°11 de Gilles Devers août 2021