Tribunal populaire de Gaza – Conclusions finales et jugement moral
Présenté par la Professeure Christine Chinkin, Présidente du Jury de Conscience
(Le Tribunal de Gaza – une initiative internationale de la société civile composée de juristes, d’universitaires et de défenseurs des droits de l’homme –Présidée par Richard Falk, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour les droits humains dans les territoires palestiniens, l’initiative visait à produire un « registre du peuple » complet de ce que les participants considèrent comme un génocide, un apartheid et des violations systémiques du droit international à Gaza).
Introduction Je voudrais ajouter mes remerciements et ma gratitude, comme nous venons de l’entendre, à tous ceux qui ont été impliqués dans le tribunal, qui ont travaillé si dur, à quelque titre que ce soit, et bien sûr, surtout au Président Falk pour nous avoir tous réunis. C’est un très grand privilège pour moi de lire au nom du jury de conscience la déclaration finale du Tribunal populaire de Gaza.
Nous, membres soussignés du jury de conscience, rendons par la présente cette déclaration de conclusions et de jugement moral lors de la session finale du Tribunal populaire de Gaza. Le jury, guidé par la conscience et éclairé par le droit international, ne parle pas avec l’autorité des États. Mais quand la loi est réduite au silence par le pouvoir, la conscience doit devenir le tribunal final. Le tribunal n’est pas un tribunal de droit, il ne prétend donc pas déterminer la culpabilité ou la responsabilité de toute personne, organisation ou État. C’est une réponse de la société civile au manque continu de responsabilité pour la commission par Israël du génocide dans la bande de Gaza.
Nous croyons que le génocide doit être nommé et documenté et que l’impunité alimente la violence continue à travers le monde. Le génocide à Gaza est la préoccupation de toute l’humanité. Quand les États sont silencieux, la société civile peut et doit s’exprimer. Le tribunal a rassemblé une richesse dematériel dans une archive précieuse, dont l’existence fournit une preuve durable de la vérité du génocide contre le peuple palestinien.
Solidarité et contre-récit
Le jury exprime sa solidarité avec les rassemblements, les marches, les campements, les flottilles, les grèves et autres actions qui protestent contre le génocide et la réticence des États à tenir Israël responsable. Et il offre un contre-récit au récit sécuritaire qu’Israël et ses alliés diffusent constamment et à la qualification de la souffrance palestinienne comme une catastrophe humanitaire. Ce n’en est pas une. C’est la commission délibérée du plus grave des crimes imposés avec les plus graves des conséquences.
Nous avons entendu des preuves étendues des crimes commis par Israël, des causes du génocide, de la collusion et de la complicité d’autres acteurs, de la résistance courageuse et de la résilience des Palestiniens et de la société civile mondiale. Nous avons entendu des témoignages personnels émouvants des dommages physiques et mentaux causés par ces crimes et de la souffrance du peuple palestinien.
Cette déclaration finale présente nos conclusions basées sur ces preuves, les normes juridiques de la Convention sur le génocide, les traités relatifs aux droits de l’homme, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et les impératifs moraux de la justice naturelle. Surtout, cette déclaration est fondée sur la conviction inébranlable que chaque vie humaine a une valeur égale. Aucun État ou idéologie n’a le droit de détruire un peuple entier.
Notre déclaration s’appuie sur les témoignages, oraux et écrits, les preuves d’experts et les documents de recherche et d’analyse réalisés par de nombreuses personnes au cours des derniers mois. Elle réitère et approuve la déclaration de Sarajevo adoptée en mai 2025.
Crimes d’Israël
Le jury condamne le génocide en cours et les crimes énumérés ci-dessous. Nous pensons que ces crimes et leur impact sur le peuple palestinien devraient être nommés séparément pour comprendre la nature holistique du génocide, sa déshumanisation du peuple, son caractère sadique et sa temporalité. Ces crimes n’ont pas commencé en octobre 2023 et ils ne se termineront pas avec le cessez-le-feu. Les décès et les graves dommages physiques se poursuivront. Le traumatisme physique et psychologique de la population survivante sera transmis à travers les générations.
Le jury condamne la commission des crimes supplémentaires suivants:
• Famine et disette: Par le déni délibéré de nourriture, d’eau et la destruction systématique de l’ensemble du système alimentaire. • Domicide: Plus que la destruction massive intentionnelle de propriétés résidentielles et de leurs infrastructures (électricité, eau et assainissement). Un foyer, c’est l’amour, la vie, unrépertoire de souvenirs, d’espoirs et d’aspirations. Sa destruction entraîne le déplacement, le traumatisme, la désintégration des communautés et une profonde perte culturelle. • Écocide: Décrit un type particulier de guerre basé sur la ruine de la fertilité des terres, de la qualité de l’air, des sources de nourriture et d’eau, des dommages environnementaux catastrophiques qui détruisent la capacité de survie après la cessation des bombardements. • La destruction délibérée et le ciblage du système de santé (infrastructures, équipements et personnel). Ceux-ci sont systématiques depuis des décennies et sont devenus presque totaux. La question la plus importante pour la santé physique et mentale est l’occupation israélienne et la déshumanisation de la population. • Reprocide: Le ciblage intentionnel et systématique des soins de santé reproductive palestiniens par la prévention des naissances, l’élimination des vies futures et la capacité de reproduire la vie en toute sécurité. • Scholasticide: Est le génocide du savoir, la destruction de l’avenir intellectuel de la Palestine par le meurtre, le bâillonnement et le déplacement d’une génération d’étudiants et d’enseignants, l’oblitération des écoles et des universités, la destruction des rêves et des aspirations. • Attaques contre les journalistes: La documentation du génocide est effectuée par des journalistes palestiniens et eux et leurs familles sont ciblés. Réduire au silence ces journalistes est essentiel pour la dissimulation du génocide et plus de journalistes ont été tués que dans tout autre conflit. • Torture, violences sexuelles, disparitions, violences basées sur le genre en détention, aux points de contrôle, lors de perquisitions, lors de déplacements et ailleurs. • Politicide: Est l’assassinat ciblé et l’enlèvement de dirigeants politiques et culturels, de représentants, d’activistes, et la destruction des institutions civiques.
Le jury constate un schéma cohérent et constant de violence exterminatrice dans la destruction intentionnelle et ciblée de maisons, d’approvisionnements en eau, d’écoles, d’hôpitaux, de cliniques, d’universités, d’institutions culturelles et religieuses, de terres agricoles et d’écosystèmes naturels. L’armement de la faim, le déni de soins médicaux, les déplacements forcés ne sont pas des dommages collatéraux de la guerre. Ce sont des instruments de punition collective d’une population entière et de génocide. Ils ne sont justifiés par aucune revendication d’objectifs militaires.
Complicité et collusion
Le jury estime que les gouvernements occidentaux, en particulier les États-Unis et d’autres, sont complices et, dans certains cas, en collusion avec la commission du génocide par Israël par la fourniture d’une couverture diplomatique, d’armes, de pièces d’armes, de renseignements, d d’assistance militaire et de formation, et de relations économiques continues. De telles actions constituent un échec moral et une violation de leur devoir légal de prévenir le génocide et de coopérer pour mettre fin à la violation d’une norme de jus cogensdu droit international. Le silence et l’inaction face au génocide ne sont pas une option et sont d’autres formes de complicité. Le jury estime qu’un éventail d’acteurs non étatiques sont complices du génocide:
• Les reportages médiatiques biaisés en Occident sur la Palestine et la sous-déclaration des crimes israéliens sont conformes aux intérêts économiques et politiques des élites dirigeantes et de leurs alliés. • Les institutions universitaires, par leurs investissements, soutiennent Israël. Le personnel et les étudiants qui soutiennent la Palestine sont réduits au silence ou sanctionnés. • Les chaînes d’approvisionnement mondiales qui soutiennent le génocide par les armes, les banques, la technologie, les transports et d’autres sociétés multinationales. • Le secteur de la haute technologie soutient la machinerie du génocide en manipulant le contenu par des algorithmes, permettant à Israël de surveiller et de planifier chaque frappe aérienne et assassinat. Les entreprises qui vendent de la capacité cloud à Israël fournissent la puissance informatique pour le génocide.
Le jury considère que l’économie politique du génocide est la forme la plus élevée d’hyperimpérialisme du 21e siècle. Le jury estime que l’ordre mondial actuel structuré par des hiérarchies de pouvoir et des dépendances économiques a révélé son incapacité à prévenir ou à punir les crimes atroces lorsqu’ils sont commis par les puissants ou leurs alliés. Les Nations Unies,paralysées par le veto et la sélectivité politique, ont abdiqué leur responsabilité fondamentale de « sauver les générations futures du fléau de la guerre ».
Le jury, cependant, félicite les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, y compris la Commission d’enquête et surtout la fermeté de la Rapporteuse spéciale des territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, pour leur affirmation du génocide.
Conclusions
Le jury affirme qu’Israël perpétue un génocide en cours contre le peuple palestinien à Gaza, au sein et rendu possible par un régime d’apartheid colonial de peuplement plus large enraciné dans l’idéologie suprémaciste du sionisme. Cette campagne est inséparable d’un projet de plus d’un siècle visant les Palestiniens dans toute la Palestine et en exil.
Les causes profondes du génocide résident dans une idéologie raciste suprémaciste, le sionisme, qui sous-tend un système visant à déposséder, dominer et effacer les Palestiniens, soutenu par une structure de pouvoir néocoloniale oppressive dirigée par les États-Unis et leurs alliés, protégée par la complicité internationale, y compris de nombreux gouvernements arabes et musulmans.
Le jury considère que le génocide à Gaza présente plusieurs caractéristiques exceptionnelles:
1. Il est perpétué sur une population captive dans un petit territoire fermé où Israël contrôle toutes les entrées et sorties. 2. Il est systématique et réalisé avec la technologie la plus avancée. 3. Malgré les tentatives d’Israël d’empêcher les reportages, il est très visible en temps réel.
Il y a eu recours à des instances judiciaires internationales (la Cour internationale de justice par l’Afrique du Sud, la demande d’avis consultatif par l’Assemblée générale des Nations Unies concernant l’UNRWA, le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale). Pourtant,ceux-ci ont été ignorés en toute impunité par Israël et d’autres États ont fait peu de progrès réels. Des sanctions minimales ont été imposées. En effet, ce sont le personnel de la Cour pénale internationale et les ONG assistant la cour qui ont été sanctionnés par les États-Unis.
Recommandations
1. Mettre fin à l’impunité et assurer la reddition de comptes • Tenir tous les responsables (politiquement, militairement, économiquement et idéologiquement — auteurs, partisans, facilitateurs et parties complices) pleinement responsables par tous les moyens légaux et dans toute l’étendue de la loi. • Suspendre Israël des organisations et institutions internationales, en particulier les Nations Unies et ses affiliés. • Activer la résolution 377 de l’Assemblée générale des Nations Unies, la résolution « Unis pour la paix », afin que l’Assemblée générale puisse adopter des mesures collectives pour mandater une force de protection pour les territoires palestiniens et arrêter le génocide à Gaza, étant donné l’échec du Conseil de sécurité des Nations Unies à agir en raison de vetos successifs.
2. Résister et démanteler les structures oppressives • Le jury réaffirme le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, à choisir des modes de résistance équitables, à parvenir à la libération, à la liberté et à l’indépendance. • Le jury approuve une stratégie mondiale basée sur les droits pour démanteler les structures sionistes, identifier et cartographier les sources de pouvoir et les piliers du régime sioniste. • Le jury appelle à la construction d’un mouvement mondial qui affaiblit, isole et démantèle chaque source par une action politique, juridique, économique, universitaire, culturelle, technologique et sociale coordonnée.
Pour atteindre cet objectif, deux tâches principales sont primordiales:
Premièrement, la fermeté et la non-déplacement: Les Palestiniens à Gaza, en Cisjordanie, y compris Jérusalem, et les communautés palestiniennes à l’intérieur des lignes de 1948 doivent rester enracinées dans leur terre. Il ne doit y avoir aucun autre déplacement forcé de Palestiniens et de Palestiniens en exil, en particulier les réfugiés à travers la région. Prévenir le déplacement, maintenir la fermeté sont essentiels pour maintenir la lutte.
Deuxièmement, la confrontation mondiale complète: Confronter le mouvement et le régime sionistes mondialement dans toutes les sphères: politique et diplomatique, juridique et droits de l’homme, économique et commerciale, médiatique, culturelle, intellectuelle, universitaire, éducative, industrielle, technologique et scientifique, artistique, touristique, sportive. Cette mobilisation centre les peuples, les mouvements, les partis, les syndicats, les organisations de la société civile et les individus afin que la solidarité devienne une force, que la normalisation soit combattue et que le projet sioniste soit assiégé sur tous les fronts.
Déclaration finale
Le jury affirme que la lutte est contre le sionisme en tant qu’entreprise coloniale de peuplement raciste et suprémaciste, et non contre les Juifs ou le judaïsme. L’horizon stratégique est un ordre politique unique basé sur les droits, fondé sur l’égalité, la décolonisation, la restitution et le droit illimité au retour. Seule cette voie peut mettre fin au génocide en cours et ouvrir un chemin vers une paix juste et durable pour tous ceux qui vivent en Palestine et au-delà.
Nous publions cette déclaration au nom de la justice, de la dignité et de la paix, et en mémoire de tous ceux qui ont péri à Gaza et dans toute la Palestine. Le silence n’est pas neutre. Le silence est complicité. La neutralité, c’est se rendre au mal.
En solidarité avec le peuple de Gaza et en mémoire de toutes les victimes du génocide, nous parlons en tant que jury de conscience composé du professeur Samy Al-Arian, de moi-même Christine Chinkin, du Dr Ghada Karmi, de l’auteure Kenize Mourad, du professeur Chandra Muzaffar et du professeur Biljana Vanovska.
https://youtu.be/W31igjmtSyI Christine Chinkin
https://youtu.be/vwibIZcLcQE Richard Falk
https://youtu.be/Aw60QqsX5-Y session finale