Fayez TANEEB, militant et paysan palestinien : Il pense global, il agit local !

La mur de l'apartheid

Fayez TANEEB a été reçu à Lyon le 25 octobre 2017 au cours de la réunion mensuelle du collectif 69 Palestine, étape d’une tournée en France.

Fayez, agriculteur palestinien de Tulkarem, a repris la ferme de son père puis a créé une ferme écologique dans le contexte extrêmement difficile de l’occupation israélienne.

60% de sa terre a été confisquée par le mur de l’Apartheid.

Dans un contexte extrêmement difficile, ce paysan se bat pour la sécurité alimentaire des Palestiniens, il s’appuie sur des solutions écologiques et novatrices pour éviter d’acheter l’eau d’Israël qui en a le monopole (société Mekorot), les engrais et pesticides et graines de Monsanto. C’est en même temps une façon de boycotter l’apartheid israélien, ce qui pour les Palestiniens de Cisjordanie encerclés par le « mur » est très difficile.

Par exemple, entre sa ferme et la ville de Tulkarem, il indique qu’il y a 14 portails (checkpoints agricoles) dont 8 n’ont jamais été ouverts !

Le mur érigé depuis 2002 constitue à ses yeux après la Nakba de 1948 et la Naksa de 1967 la troisième catastrophe.

Fayez est aussi un militant contre l’occupation, il lutte pour les droits humains des Palestiniens. C’est un syndicaliste agricole qui se bat pour améliorer les conditions de vie des producteurs agricoles palestiniens et pour protéger le marché local palestinien contre les produits des colonies.

Face au déracinement de plus de 800 000 oliviers par Israël, Fayez a lancé un projet de replantation d’un million d’oliviers. (67 000 ont déjà été replantés). Ce projet aurait des répercutions alimentaires et économiques, mais aussi peut lutter contre le déséquilibre de l’environnement. Fayez dénonce le refus de ratifier l’accord sur le climat de Donald TRUMP.


Présentation de la ferme et des projets de la famille Taneeb

(document remis par Tayeb)

Elle se trouve à Irtah, petit village situe à côté de Tulkarem.
La surface de production de la ferme est de 26 dounoums (2,6 ha), dont 9 000 m² de serres.

Les fruits et légumes plantés varient en fonction des saisons : melokhia, concombres, poivrons, zaatar, tomates, courges, olives, citron, fraises,etc.

5 personnes travaillent quotidiennement dans la ferme, dont trois membres de la famille Taneeb.
La situation économique est aujourd’hui difficile pour les agriculteurs en Palestine et la famille Taneeb en subit les conséquences directes. En effet, toute exportation de fruits ou légumes leur est interdite en dehors du territoire de la Cisjordanie. Il est donc difficile pour eux de trouver des clients, notamment dans la région de Tulkarem où il y a un nombre important de fermes.

De plus, les prix des fruits et légumes sont très bas. Parallèlement à la restriction du marché, les agriculteurs palestiniens ont l’obligation d’acheter l’ensemble des matériaux destinés à leur activité agricole à des compagnies israéliennes. Ces matériaux sont beaucoup plus onéreux que les produits palestiniens (graines, systèmes d’irrigation, ruches, etc).

Historique

La ferme a subi, à de nombreuses reprises, des pressions de la part du gouvernement israélien, et il n’y a, au jour d’aujourd’hui, aucune garantie quant aux ambitions israéliennes. Concernant les ambitions de la famille Taneeb, il est clair qu’ils feront beaucoup pour garder leur terre.

Les persécutions ont eu lieu à diverses reprises.
Premièrement, en 1984. En effet, à la mort du père de Fayez, les militaires israéliens ont profité de l’absence d‘activité sur la ferme pour utiliser les parcelles de terres. Ils venaient donc s’entrainer quotidiennement, détruisant bon nombre des plantations. Voyant le danger de perdre les terres de ses parents, c’est à ce moment que Fayez a mis ses projets d’études de côté pour reprendre l’activité de la ferme. Après plusieurs mois de négociations, Fayez a eu de nouveau accès à sa ferme. C’est, en quelque sortes, une première victoire pour Fayez et sa famille.

Le deuxième évènement phare de la ferme Hakoritna fut le déménagement d’une usine chimique israélienne à Tulkarem, sur une partie des terres de la famille Taneeb.
La perte d’une bonne partie de leur production et donc de leurs revenus n’est pas l’unique conséquence liée à la construction de cette usine chimique. En effet, les fumées dégagées sont dangereuses pour les plantations des fruits et légumes. Face à la perte d’une partie de leur production, la famille Taneeb a commencé à installer de plus en plus de serres pour protéger les légumes.

Il est nécessaire d’ajouter que la fumée de l’usine s’étend également sur la ville et les habitants de Tulkarem. 117 000 habitants y vivent, dont 32 000 dans les deux camps de réfugiés.

Le début de la construction du mur de séparation entre Israël et la Palestine a sonné le début pour la famille Taneeb d’une troisième série de pressions et d’incertitudes quant à la garantie de garder leurs terres.

En effet, en 2003, le périmètre de leur ferme a été déclaré comme étant une zone militaire israélienne, les interdisant, dès lors, de pénétrer au sein de leur ferme et de continuer leur activité agricole, pendant 18 mois. 18 mois pendant lesquels Fayez et Mouna se sont battus pour retrouver leur terre.

La mur de l'apartheid
La mur de l’apartheid

En 2005, avec 18 dounoums de perdus et une perte considérable d’argent et de temps, la famille Taneeb a pu recommencer petit a petit, leur activité.
Bon nombres des arbres ont été détruits avec des bulldozers, ceux qui restaient étant dans un mauvais état avec l’absence d’irrigation pendant une telle période. Les plantations de légumes réduites a néant.

Les 18 dounoums perdus correspondent notamment au mur de séparation et à la zone de protection correspondant à ce mur. En effet, 50 mètres de large sont consacrés à la sécurité des israéliens, privant la famille Taneeb de leur terre. Ce périmètre ne présente, au jour d’aujourd’hui, aucune activité du côté israélien, laissant les parcelles en friche.

Malgré les diverses pressions, la famille Taneeb a toujours voulu continuer à cultiver leur terre. Et maintenant qu’elle est entourée par 3 murs, il n’est pas question pour eux d’abandonner leur ferme.
Ils ont bon espoir que la situation change en Palestine. Et pour cela, ils croient en une manière pacifique de résister face à l’occupation israélienne. Nelson Mandela et Gandhi sont deux personnages dont ils s’inspirent. Concrètement, la famille Taneeb met en action cette résistance non violente par bien des manières, à travers la ferme.

Tendre un maximum vers l’autosuffisance est un de leur objectif afin de résister aux diverses pressions.
L’autosuffisance se traduit par deux points importants pour la famille Taneeb :

– Permettre aux différents éléments de la nature de suivre leur cycle naturel (En n’introduisant pas de produits chimiques ou d’éléments susceptibles de polluer ou de perturber ce cycle.)
Ne plus dépendre des compagnies capitalistes, et notamment des compagnies israéliennes, qui mettent une pression financière particulière sur les agriculteurs.

« Hakoura », en arabe, signifie « potager qui assure la sécurité alimentaire de la famille ». Hakoritna (notre potager), est le nom de la ferme.
Afin de mettre en pratique cette autosuffisance, la famille Taneeb s’intéresse à 3 symboles fondamentaux : l’eau, l’énergie et la nourriture.

Concernant la thématique de l’eau

La question de l’eau est un réel problème en Palestine. En effet, Israël a dorénavant le monopole sur les sources d’eau de Cisjordanie. Les palestiniens doivent donc acheter l’eau aux compagnies israéliennes. Pour la famille Taneeb, il est donc important d’être indépendant par rapport à cet aspect, dans le futur. Pour le moment, un énorme réservoir récupère l’eau de pluie grâce à un système de gouttières installé au-dessus d’une serre. L’eau ainsi récupérée leur permet d’être indépendant pendant l’hiver pour l’irrigation. Leur objectif est d’être indépendant toute l’année, en augmentant la surface des gouttières et la quantité des réservoirs.

Aquaponie
Aquaponie

Parallèlement à la récupération d’eau de pluie, un système d’aquaponie a été mis en place. Ce système permet de fertiliser la terre tout en irrigant les productions.

Au sein du bassin d’eau qui sert à irriguer les cultures, se trouvent des poissons. Les excréments de ces poissons sont très nutritifs pour les plantations. Ils permettent de fertiliser la terre également. Grace à un système circulaire qui est peu énergivore, l’eau non consommée par les plantations retourne directement dans le bassin d’eau où se trouvent les poissons. L’aquaponie est donc un cercle vertueux et permet de limiter l’utilisation d’eau.

L’ambition, pour la ferme Hakoritna, est d’étendre la surface de récupération d’eau de pluie pour accueillir 5 000 poissons. L’objectif est d’irriguer l’ensemble des plantations des serres avec une eau riche et propre.

Concernant la thématique de l’énergie

Ne plus dépendre des fournisseurs d’électricité est également un des objectifs de la famille Taneeb.
Pour cela, elle a construit (avec des matériaux de récupération) un prototype de fabrication de gaz de méthane. Le principe est simple et nécessite peu de matière ajoutée. Toutes les deux semaines, la famille récupère un seau de bouse de vache que leur voisin leur donne. A cela, ils ajoutent 5 seaux d’eau.

Le mélange obtenu est mis dans un grand bidon, fermé hermétiquement pour empêcher le gaz de méthane en fermentation de se propager dans l’air et de polluer.

Le mélange a divers bienfaits pour les plantations :
Fertiliser la terre
Sert de pesticide naturel et empêche les mauvaises herbes de pousser
Après un certain temps, le gaz de méthane obtenu par fermentation est prêt à être utilisé. L’objectif de la famille est d’agrandir ce prototype afin d’agir à plus grande échelle concernant la distribution de gaz. Les usages seront les suivants :

Durant l’hiver, cela permettrait de fournir en chauffage l’ensemble des serres

Fournir quelques familles en gaz afin qu’ils puissent l’utiliser dans leur vie quotidienne.

séchoir
séchoir

Parallèlement au prototype de gaz de méthane, la famille Taneeb a construit un séchoir solaire leur permettant de faire sécher certains fruits et légumes. Cette transformation des produits a une grande importance car elle permet de valoriser leur production, et ainsi, d’augmenter leurs revenus. Un panneau solaire est intégré au séchoir solaire afin d’alimenter le système de ventilation.

Concernant la thématique de la nourriture

Depuis quelques années, la famille Taneeb a commencé à mettre en place une banque de graines, basée sur l’échange. Le but est :

  • De ne plus dépendre de Monsanto financièrement et idéologiquement en étant obligé de racheter chaque année des nouvelles graines et des pesticides nécessaires quand on utilise ces graines (en effet, ces dernières sont fragiles et susceptibles de développer plus facilement des maladies).
  • De préserver certaines variétés de légumes
    D’ici quelques années, l’objectif est d’être indépendant par rapport à l’apport de graines.

De nombreuses alternatives existent pour contrer les mauvaises herbes et pour fertiliser son sol. La famille Taneeb diversifie les techniques. Si l’aquaponie est une des solutions, le système de mulch en est une autre. Afin de ne pas utiliser de fertilisants chimiques, ils utilisent les éléments qui se trouvent dans leur environnement tels que le bois, les feuilles, diverses herbes afin de créer du compost.

« 1 million d’oliviers pour la paix » : Un projet économique, écologique et social

Face à la destruction continue des terres, (800 000 oliviers ont été arrachés entre 1967 et 2013
selon l’OCHA

), par les autorités israéliennes, il est nécessaire, selon la famille Taneeb, d’agir pour diverses raisons :

  • Préserver la biodiversité et le paysage en Palestine
  • Montrer aux palestiniens, aux israéliens, au monde, que nous pouvons faire quelque chose pour résister face à la prise des territoires, à la destruction des arbres.
  • Assurer aux agriculteurs un revenu grâce à l’activité économique qu’engendrent les oliviers et participer à la sécurité alimentaire des palestiniens

C’est en 2010, lorsque Fayez est revenu d’un comité sur la Palestine à Bruxelles, qu’il a commencé à penser au projet de planter 1 million d’oliviers en Cisjordanie.

Le principe est le suivant :

Chaque année, Fayez et quelques volontaires cherchent des oliviers de plus de 3 ans dans toute la Palestine à bas prix et de qualité. Parallèlement à l’achat de ces arbres, ils cherchent des personnes, associations ou collectifs pour financer ces arbres. Chaque arbre vaut 20 sheckels. Ces 20 sheckels comprennent les coûts suivants :
L’achat de l’arbre en lui-même, Payer des personnes en difficultés économiques qui viennent aider pour la plantation des arbres. Ils sont payés 40 checkels par jour.

Il faut assurer un suivi sur les terres des agriculteurs où les oliviers sont plantés. En effet, si ils rencontrent des problèmes avec leurs oliviers (problème d’irrigation, maladies, etc.), les volontaires du projet « 1 million d’oliviers pour la paix » leur viennent en aide.

Mettre des petites cartes à l’effigie des personnes qui ont sponsorisé les oliviers, avec le drapeau de leur pays, le logo de leur association ou leur prénom.

Depuis 2010, 65 000 arbres ont été planté entre Jénine et Hébron, ce qui représentent 7 000 à 10 000 arbres plantés chaque année.

L’importance d’accueillir des volontaires est pour la famille Taneeb, une de leur arme liée à leur résistance pacifique et également de sensibiliser les personnes venues de l’étranger sur la situation vécue par les palestiniens. Les palestiniens ont besoin que leur message circule dans le monde et que les différentes populations soient solidaires avec leur peuple.

Pour ce faire, l’accueil des internationaux est important pour eux. En effet, leur ferme est un exemple concret des conséquences de l’occupation israélienne. Parallèlement à l’importance d’exposer les faits de leur situation difficile, il est également important pour la famille Taneeb de sensibiliser autour de la thématique de l’agriculture biologique et de montrer les exemples concrets qu’ils ont mis en place pour illustrer ce type d’agriculture.

Des milliers de personnes sont déjà venues, pour visiter la ferme et en apprendre plus sur leur histoire.
Également, des volontaires viennent régulièrement pour aider la famille Taneeb dans les travaux de la ferme. L’accueil de ces volontaires permet à tout le monde d’échanger et d’apprendre sur les différentes cultures, et les différentes pratiques.

De plus, beaucoup d’étudiants visitent la ferme et aident à la construction de nouveaux procédés écologiques. Les étudiants des universités de Khaduri, d’Al Najah et de Jerusalem qui étudient l’agriculture viennent régulièrement à la ferme.