le 22 mai 2018 La Palestine saisit la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par Israël

Après les plaintes de plus de 560 Gazaouis déposées le 17 mai par un collectif d’avocats de Gaza conduit par l’avocat lyonnais Gilles Devers, c’est cette fois l’autorité palestinienne qui saisit directement la CPI le mardi 22 mai. Une étape importante est franchie.

Nous publions ci dessous l’article de Stéphanie Maupas paru sur
le monde.fr

Le conflit israélo-palestinien portera dans les prochains jours un numéro de dossier devant la Cour pénale internationale (CPI). Mardi 22 mai au matin, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a officiellement référé à l’instance les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, dont l’apartheid, commis par « le gouvernement d’Israël ou ses agents », et il a demandé à la procureure, la Gambienne Fatou Bensouda, l’ouverture « immédiate » d’une enquête.

Cette décision, dont Ramallah menaçait Tel-Aviv depuis plus de trois ans, a immédiatement été qualifiée de « cynique et sans validité juridique » par le ministère israélien des affaires étrangères. Israël n’a pas ratifié le traité de la CPI, et estime que cette dernière n’a dès lors « pas autorité sur la question israélo-palestinienne ». D’autant que, ajoute Tel-Aviv dans un communiqué, « l’Autorité palestinienne n’est pas un Etat ».

La CPI est compétente depuis que l’Autorité palestinienne y a adhéré fin 2014, à la suite de l’échec d’une négociation pour obtenir des Nations unies (ONU) un calendrier du retrait israélien des territoires occupés de Cisjordanie. Quelques jours après, et à la demande de Ramallah, la procureure avait ouvert un « examen préliminaire ». Mais cette première étape – préalable à l’ouverture d’une enquête – a une valeur plus symbolique que juridique.

Jusqu’ici, Fatou Bensouda n’est pas passée à l’étape de l’enquête et elle a progressé avec prudence sur ce dossier, de loin le plus sensible de l’histoire de la CPI. Tandis que l’Autorité palestinienne, qui en avait fait un instrument de négociation, avançait jusqu’ici graduellement, essuyant de ce fait des reproches dans son propre camp.

« Ciblage calculé de manifestants non armés »

En attendant la décision de la procureure – qui pourrait prendre des semaines, des mois ou des années, les textes ne prévoyant aucune date limite –, une chambre préliminaire sera désignée dans les prochains jours devant laquelle Ramallah pourra se tourner en cas de blocage. Si Fatou Bensouda devait décider de refermer le dossier, comme l’avait fait son prédécesseur lors d’une précédente procédure en 2011, elle devrait cette fois s’en expliquer devant les juges.

S’adressant à des journalistes à La Haye, Riyad Al-Maliki a expliqué avoir « pris cette mesure en raison de l’intensification de la fréquence et de la gravité des crimes commis contre notre peuple, y compris l’expansion des colonies, l’accaparement des terres et l’exploitation illégale de nos ressources nationales, ainsi que le ciblage brutal et calculé de manifestants non armés, en particulier dans la bande de Gaza ».

Le 14 mai, les soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Gaza, faisant 62 morts et plus de 1 300 blessés, tandis qu’à Jérusalem, l’administration américaine inaugurait en grande pompe sa nouvelle ambassade. Israël a pour sa part accusé le Hamas de manipuler la population gazaouie, utilisée comme bouclier humain.

L’affaire pourra être aussi du ressort de la CPI. Les Palestiniens demandent une enquête sur tout crime commis depuis la guerre de l’été 2014 à Gaza (date à partir de laquelle la CPI est juridiquement compétente), sur le territoire palestinien, dans ses frontières de 1967.

« Le régime de colonisation d’Israël est la menace la plus dangereuse pour les vies palestiniennes, les moyens de subsistance et les droits nationaux. Israël maintient, élargit et protège le régime de colonisation en commettant des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et le crime d’apartheid », a expliqué Riyad Al-Maliki.

La CPI, « juridiction naturelle des Palestiniens »

Pour l’Autorité palestinienne, tous les crimes reprochés à Israël découlent de cette politique de colonisation, et sont répertoriés dans sa plainte : les meurtres, les transferts forcés de Palestiniens, l’appropriation illégale de terres et de propriétés, la répression de la dissidence à travers le meurtre de manifestants pacifiques, les détentions arbitraires et les tortures.

Depuis 2015, tous les mois, Ramallah transmet à la CPI des documents qui pourraient devenir des éléments de preuve dans un procès. En ciblant la politique de colonisation, considérée comme illégale par de nombreuses instances internationales dont le Conseil de sécurité de l’ONU et la Cour internationale de justice, l’Autorité palestinienne s’attaque au cœur même de la politique israélienne, dont tous les éléments sont publics.

Outre les éléments transmis par l’Autorité palestinienne, des ONG et des avocats ont aussi déposé des éléments sur la table de la CPI. Un collectif d’avocats de Gaza, du Moyen-Orient et d’Europe, conduit par le Français Gilles Devers, a déposé, mi-mai, les plaintes de plus de 560 Gazaouis, victimes de la répression de « la marche du grand retour », des manifestations organisées depuis fin mars dans la bande de Gaza.

« Il n’y a jamais eu de réponse judiciaire en soixante-dix ans, alors le premier signe sera forcément quelque chose », estime Gilles Devers. Pour lui, « [la] CPI est la juridiction naturelle » des Palestiniens, « car au niveau national, il ne peut y avoir de procès que symbolique, et parce que la juridiction de l’occupant récuse le droit international ».

Une analyse que partage Nada Kiswanson, de l’ONG Al-Haq. « Pour les Palestiniens, c’est vraiment la Cour de dernier recours. Il n’y a pas d’autre tribunal qui puisse juger cela. Mais cela ne veut pas dire que la CPI résoudra le conflit. »


Article paru sur
le monde.fr



Déclaration de la procureure de la CPI Fatou Bensouda
suite à la réception de la plainte.



La plainte déposée par l’autorité palestinienne